Perdus dans notre microcosme « Primaire » (celle du PS incluse) franco-franchouillard, nous en avons oublié, une fois de plus, la vision globale. Vous pouvez compter sur Neuneu pour faire la synthèse. Et si on commençait pas la situation économique…
« La particularité de la gauche française, c’est d’imaginer le monde tel qu’il devrait être mais jamais tel qu’il est. » Dans son éditorial du mardi 11 octobre (le Figaro), Paul-Henri du Limbert a tapé juste. Reprenant fort à propos l’exemple de l’euphorie des deux premières années de gouvernance de François Mitterrand (1981-1983), directement suivies par la rigueur tant décriée, le directeur adjoint de la rédaction du Figaro fait une analyse dont l’argumentaire est assez inattaquable quant aux faits qu’il relate. Mais il oublie néanmoins le contrepoint, qui veut que la particularité de la droite française, c’est d’imaginer le monde tel qu’elle le désire et non pas tel qu’il est… et de ressortir les exemples des promesses du candidat Sarkozy (« j’irai chercher la croissance avec les dents », etc.) en les comparant à ses actes en tant que président de la République.
(pensée interne) « Eh, Neuneu, mais à qui tu t’adresses, là, au baron de Montebourg ? Allez, reprends toi et utilise un langage clair. »
Or donc (put…, ça me reprend, c’est à force de l’écouter, l’autre aristo du barreau… ou alors, c’est la faute à Canteloup), les deux candidats à l’investiture PS pour la présidentielle de 2012, Martine Aubry et François Hollande, nous ont exposé leur projet (commun, paraît-il) et administré leurs promesses. Promesses qui, comme chacun sait, n’engagent que ceux qui les écoute.
Et si nous avons tous bien écouté, que ce soit les sons de cloche Rue de Solferino ou les éléments de langage du révérend Copé, appuyé par son diacre François Barouin (hier matin sur Europe 1, face à Elkabbach – et oui, encore!), nous avons dû entendre la même chose: la gauche veut dépenser de l’argent qu’elle n’a pas en empruntant auprès de banques qui n’en ont plus, et la droite veut mettre un frein (un terme?) aux dépenses publiques sous des prétextes divers et variés tout en renflouant les mêmes banques, mal en point du fait des risques inconsidérés qu’elles ont pris sur les marchés. Ça va, vous suivez? Bien.
Je tombe alors sur un texte édifiant de Lionel Stoléru publié dans Le Monde de jeudi (13 octobre) et qui éclaire quelque peu ma lanterne. Je vous en livre quelques extraits choisis (la quasi totalité, en fait) :
« Arnaud Montebourg a eu le mérite de rappeler que la mondialisation apporte aux consommateurs des pantoufles, jouets, téléviseurs et téléphones bon marché et aux travailleurs des fermetures d’usines, délocalisations et licenciements. Comme le consommateur et le travailleur sont souvent une seule et même personne, il y a problème… Le chômage n’a cessé de croître en Europe et aux États-Unis jusqu’aux 10% actuels, considérés comme un seuil à ne pas dépasser si l’on veut éviter un décrochage social. Reprenons ce mot en comparant ce qui se passe au décrochage de l’Airbus 320 Rio-Paris. Il y a un moment où le pilote automatique ne répond plus et où la catastrophe ne peut être évitée que par deux actions: une action d’urgence de remise en fonction du pilotage manuel, une action structurelle de remplacement des sondes Pitot par un autre régulateur de vitesse.
L’économie mondiale est dans cette situation: le déséquilibre de la planète causé par la montée des excédents commerciaux des uns et des déficits des autres résulte du pilotage automatique effectué par les marchés: il a disjoncté, et les États doivent reprendre d’urgence les manettes pour revenir au pilotage manuel. Tel devrait être l’un des rôles essentiels du prochain G20.
Le G20 doit ensuite modifier les sondes Pitot pour que de nouveaux régulateurs puissent remettre en marche le pilote automatique, c’est-à-dire les marchés, sans nouveau risque de décrochage.
On en est loin, puisque Nicolas Sarkozy a refusé de mettre ce problème à l’ordre du jour du G20 de Cannes. Du crash de l’A320 au krach du G20, il n’y a plus qu’un pas.
C’est là que le raisonnement d’Arnaud Montebourg a ses limites; tout en ayant la sagesse d’exclure un protectionnisme «primaire», il recommande à la France, et surtout à l’Europe, de «se défendre » contre l’invasion des produits asiatiques et le chômage qu’ils entraînent, et donne l’exemple des mesures antidumping aux États-Unis, pays pourtant classé comme «libéral ». Ce n’est pas la bonne solution: la guerre économique fait autant de victimes que la guerre tout court, et toute guerre contre la Chine est perdue d’avance, comme le montrent les tentatives de l’«obliger» à réévaluer le yuan.
Le protectionnisme intelligent dont nous avons besoin est celui d’une régulation concertée des échanges entre l’Est et l’Ouest pour stopper le décrochage en cours en se fixant des objectifs communs de retour à l’équilibre: par exemple, diminuer pendant trois ans d’un demi-point de PIB par an les excédents et déficits commerciaux, ce qui répartirait l’effort à faire entre l’Est et l’Ouest. Une autre voie est de demander aux entreprises chinoises de créer des filiales aux Etats-Unis et en Europe, avec production d’une part de la valeur ajoutée et création d’emplois. C’est ce que font aux Etats-Unis plusieurs grandes entreprises indiennes dans le domaine des médicaments génériques, où l’Inde est maintenant numéro un mondial. C’est ce qu’a essayé de faire le gouverneur de Californie dans les conditions posées à la Chine pour sa participation à l’appel d’offres du TGV californien.
Si la Chine demande à nos entreprises des transferts de technologies, nous pouvons bien lui demander aussi des transferts d’emplois.
Le monde est suspendu à l’avenir de la Grèce et de nos banques, alors que la faillite de l’emploi qui se profile est bien plus grave que la faillite des banques, qui, elle, n’aura pas lieu.
Finalement, cela se révèle utile d’être diplômé de polytechnique, d’avoir été secrétaire d’état à l’emploi sous Giscard, et même chargé de mission pour Nicolas Sarkozy. Ça permet d’avoir une vue d’ensemble, qui fait dire qu’une certaine forme de « démondialisation » est bien possible. Une autre précision apportée dans Le Monde éclaire encore un peu plus le débat. Dans les Échos du 6 juin 2000, le même Stoléru disait ceci:
« Le débat droite-gauche moderne n’est plus d’être pour ou contre le marché, puisque tout le monde est pour, mais porte sur la régulation du marché. Pour ma part, je suis convaincu qu’il faut réguler le marché aussi bien pour en améliorer le fonctionnement que pour s’y opposer quand les finalités de la société dépassent l’économie. Ensuite, que le débat politique progresserait beaucoup si l’on voulait bien abandonner le culte du marché et se contenter d’acquérir la culture du marché.
Un visionnaire, ce Lionel. Il me semble même que Nicolas Sarkozy l’avait aussi évoqué, cette régulation des marchés, lors de la crise de 2008. Surtout que ces conclusions sont étayées par d’autres avis d’éminents spécialistes de la question. Nous avons déjà évoqué ici les préceptes de Paul Krugman, prix Nobel d’économie en 2008, qui préconise prioritairement l’aide à l’emploi plutôt que l’aide à la spéculation (leçons tirées du « Bailout » des banques opéré par l’administration Obama en 2008 assorti d’un prêt de quelques 800 milliards de dollars… avec comme résultat un chômage toujours aussi haut et une récession toujours en marche… mais les banques US, merci, ça va pour elles). Robert Reich rejoint également cette analyse.
Reich, ancien secrétaire d’état américain au Travail de Bill Clinton, a exposé récemment sur son blog une liste de 7 mensonges que l’on entend d’une manière récurrente sur l’état de l’économie aujourd’hui. Comme c’est en anglais, voici en substance ce qu’il révèle. Appliqué à la société américaine, certes, mais tout à fait transposable à nos sociétés occidentales européennes.
- Taxer les riches est mauvais pour l’économie et ralentirait les créations d’emploi: FAUX. Reich cite l’exemple des années Eisenhower (1952-1960) durant lesquelles les riches étaient taxés à 91%, ou encore la moyenne de la période allant de la seconde guerre mondiale jusqu’en 1981 (70%). Durant toutes ces années, l’économie américaine ne s’est jamais aussi bien portée, notamment le secteur de l’emploi.
- Une fonction publique réduite génère plus d’emplois: FAUX. La majorité républicaine au congrès américain propose des coupes budgétaires de 61 milliards de dollars dans les dépenses publiques. D’après Mark Zandi, économiste chez Moody’s et, surtout, conseiller de John McCain durant sa campagne présidentielle (2008), cela engendrerait une perte de 700.000 emplois, privé et public réunis, sur les deux prochaines années.
- Réduire les déficits est plus important que de relancer l’économie: FAUX. Étant donné le niveau élevé de chômage, des coupes budgétaires ne feraient que ralentir l’économie. Le chômage augmenterait et les revenus fiscaux diminueraient entrainant mécaniquement une dégradation de la dette par rapport au PIB. La première priorité est de relancer l’emploi et la croissance en boostant l’économie. Alors et seulement alors, lorsque la croissance et les emplois seront sur le retour, on pourra s’attaquer à la réduction des déficits.
Alors, démaguos les socialos? Seule la majorité a le sens du réel? Un peu des deux, mon capitaine. La seule constante, c’est qu’on nous prend toujours pour des neuneus. Me revient à l’esprit une analyse d’un observateur de la vie politique américaine, qui disait que les Républicains, qui contrôlent le congrès, ne feront rien pour améliorer la situation économique avant les présidentielles de 2012 – afin de les gagner, évidemment, en critiquant le bilan économique de l’administration Obama. Une analyse que l’on pourrait fort bien… mondialiser, et surtout, franciser.