Socrates est mort une fois de plus hier, d’avoir trop abusé de la cigüe. Le Docteur ès élégances footballistiques des Corinthians de São Paulo et de la Seleção (revisionnez la coupe du monde 1982), chantre de la démocratie participative (oui Ségolène) pour lutter contre la junte brésilienne (à lire ici), s’est éclipsé furtivement, éthyliquement disent d’aucuns… mais surtout définitivement. Et avec lui, une certaine idée du romantisme dans le sport. Ou pas tout à fait…
Il y a rarement eu plus belle équipe du Brésil à voir jouer que celles des coupes du monde 1982 et 1986. Et pourtant, ces équipes là sont vierges de tout trophée mondial. La faute à un attaquant de pointe (Serginho) pas à la hauteur du talent de ses pourvoyeurs de ballons (mais est-ce si grave, au fond?). À leur tête, Socrates, un milieu de terrain barbu, monté sur des échasses, doté d’une technique purement brésilienne, à savoir que d’abord, on apprend à contrôler le ballon, avant de savoir le passer dans le bon tempo ou, éventuellement, de tirer au but s’il n’y a pas meilleure solution. Le tout, avec la tête haute, si possible. Une tête que le docteur Socrates (il était médecin « dans le civil ») avait également l’avantage d’avoir bien pleine. De quoi? De connaissances, beaucoup, mais de paradoxes, surtout. À l’image de tout un chacun.
C’est ce contraste avec nos « stars » du ballon rond d’aujourd’hui qui me frappe au fil des années. Ce vide crânien qui me sidère autant que le manque de vocabulaire de ces milliardaires décérébrés… à qui il convient de ne pas jeter la pierre. Car ils ne sont que les fruits d’un système sociétal qui les a façonné, un système où pragmatisme et réussite à tout prix évoluent comme des divinités païennes dans la société babylonienne. Peu importe si cela se fait au prix de leur évolution en tant qu’Hommes. Les rappels historiques sont parfois bénéfiques afin de mieux évoluer. Mais allez parler de ça à Franck Ribery, ou même à Titi Henry.
Pourquoi lui? Parce qu’à l’insu de son plein gré (même si sa main était volontaire), il a personnifié à la suite de son fameux centre « qualificatif » contre l’Irlande (match de barrage pour la coupe du Monde 2010) tout ce qui va mal dans la morale de notre siècle. La morale de Socrate, le philosophe pas le footballeur, celle qui, selon Nietzsche, « permet de contrôler et justifier l’existence, une morale du savoir où le mauvais n’est jamais qu’un ignorant ». Et il y a toujours des remèdes à l’ignorance. Socrate, conscient de son ignorance – « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien » – aurait remis en cause bien des choses lors de cet « événement » qualificatif. Faute de l’avoir fait, les responsables du football hexagonal s’en sont mordus les doigts en phase finale (et peut-être demain, pour l’Euro 2012?).
« Mais pourquoi nous raconte-t-il tout ça? » Parce que j’ai la faiblesse de croire qu’il n’y a rien de déshonorant sportivement à être battu par plus fort que soi. C’est pourquoi je me suis toujours efforcé d’être plus fort que mon adversaire, quelle que soit la discipline, sportive ou non, à laquelle je me suis essayée. Et lorsque cela ne fut pas suffisant pour m’imposer, j’applaudis alors à la victoire adverse et serrai la main de celui (ou ceux) qui s’était montré meilleur que moi.
Au coup de sifflet final du quart de finale de la coupe du monde 1982, vous remarquerez (ici, à 2’46) que Socrates applaudit ses adversaires italiens et vient serrer la main de Giuseppe Bergomi, le peu tendre défenseur milanais, qui s’est précipité sur lui… pour lui réclamer son maillot. Le Brésil venait d’être éliminé, alors qu’il avait démontré sa supériorité footballistique.
Ces « valeurs », romantiques et éculées pour certains, sont quasiment inexistantes aujourd’hui dans le monde du football, où « seul le résultat compte ». Par contre, on nous en rabâche les oreilles pour ce qui est du cousin ovale, le « Rugby Football » (le football tel qu’il est pratiqué dans la ville de Rugby, au nord-ouest de Londres, à partir de 1823). Il me semble pourtant que ce sont ces valeurs là qui peuvent nous permettre de « mieux vivre ensemble », finalité de toute société qui se veut évoluée. Or, comme les derniers développements de l’économie mondialisée ou de la politique (au sens grec de « vie de la cité ») nous le démontrent, on vit de moins en moins bien ensemble.
Alors que faire? Faites comme Socrates (les ravages de l’alcool en moins). Continuez à vous poser des questions en faisant de votre mieux pour avancer. Vous gagnerez, parfois. Vous échouerez, souvent. Mais vous finirez toujours par apprendre quelque chose, sur vous-même (« Connais toi toi-même » répétait souvent Socrate, le philosophe grec) et sur les autres, qui pourra vous servir dans l’avenir. Et si vous ne voulez pas rester dans votre coin après une défaite, mettez-vous au handball ou au rugby. On dit que les 3e mi-temps y sont conviviales. En général.